9.6.09

REPRÉSENTATIONS


Mai 2009, Paris




C’est une expérience singulière de dépaysement que de prêter son lieu de vie pour une représentation de théâtre en appartement.
Pousser la porte de chez soi et entendre des mots qui nous sont étrangers, découvrir sur les meubles du salon des objets inconnus (un téléphone en bakélite noir, un album gris, un miroir). Sentir que tout espace familier est devenu le décor d’une histoire qui n’est pas la nôtre. Vivre l’évidence qu’il ne faut plus rien toucher ; que tout est maintenant dispositif scénique en attente. Même les lampes du salon brûlent alors pour moi d’une lumière différente. Je suis debout dans l’entrée, les mains derrière le dos, comme une enfant dans un magasin de porcelaine, éblouie par la magie d’une scène sans rideau, une scène qui a surgi de mes meubles différemment agencés… par la seule force de l’intention créatrice. Ma chambre, convertie en coulisse, n’accueille plus les manteaux des invités, c’est la salle de bains qui fait office de vestiaires. Nous jouons avec les lieux, nous aussi nous improvisons. A 20h30 tous mes invités prennent place sur les trois rangées des chaises qui sillonnent le salon. Les portables sont éteints, le digicode muselé. Le spectacle peut commencer.
Sylvie



Mai 2009, Paris




C'est toujours très intéressant de voir mon lieu passer du privé au public et le voir se transformer pour laisser place à l'univers de la pièce. C'était aussi intéressant de devenir visiteur dans mon propre lieu, spectateur extérieur au travail sur un territoire que vous vous êtes très bien approprié. Je trouve qu'il est essentiel que le théâtre puisse vivre ailleurs que dans des lieux de théâtre.
J'ai trouvé votre adaptation très fraîche et légère. Elle m'a beaucoup faite penser à celle de Michel Didiym pour Le jour se lève Léopold, autre pièce de Valletti.
Béatrice



Juin 2009, Gagny, Ile de France




Comme après chaque représentation Mylène, Serge et moi-même circulons parmi les spectateurs un verre de vin à la main, une chips ou une cacahuète dans l’autre. Les oreilles à l’affût.
Reprenons. Le texte de Serge Valletti est chiche en informations sur le rapport qui lie les deux personnages de sa pièce, sur le but que chacun d’entre eux poursuit à travers dialogues et situations. Nous avons donc, à six mains et trois cerveaux, créé une biographie de Nathanaël et de Nicolas et, de fait, la fin de la pièce. Sauf que. Respectant le choix de l’auteur de ne pas imposer une fin explicative, nous proposons une fin ouverte dans laquelle nous essaimons quelques pistes sur ce que nous avons décidé de l'avenir des deux personnages.
Et tandis que nous déambulons le verre maintenant vide, le public ne nous explique pas ce qu’il a compris mais ce qu’il a imaginé.
Hugues Joudrain



Août 2009, Sète, Hérault



20h15. De la cabanette qui surplombe la baie de Sète, le bassin de Thau et le jardin où va avoir lieu la représentation, Serge et moi-même nous préparons à faire notre entrée tandis que Mylène annonce le spectacle. Le jour décline. Jeanne : “J’étais ravie de recevoir ce spectacle et en même temps je ne pouvais me défaire d’une certaine appréhension quant à la réaction du public confronté à la proximité des comédiens, à l’originalité du texte.”
21h45. De la clarté de la journée ne subsiste qu’un mince bandeau à l’horizon. Après avoir rangé nos costumes nous approchons d’une tablée où une trentaine de personnes, le public, est occupée à ouvrir les bouteilles et installer les salades et autres tielles sétoises. Jeanne : “C’est une expérience surprenante de se retrouver dans le salon de ces deux personnages, si proches d’eux et néanmoins invisibles, témoins de leur joute verbale.”
Mais déjà on nous invite de la voix et du geste. À votre santé monsieur Valetti !



Novembre 2009, Deuil sur Barre, Ile de France



(extrait)
Nathanaël Mérédick
Allô ! Oui ! Le docteur Binet ? le docteur Binet ?
…Mais quel numéro demandez-vous Madame ?
Le Quatre Six Deux Trois Quatre deux fois ?
…Ah, mais là… le docteur Binet n'est pas là…
Vouais… Vouais… Je vois, je vois… C'est ennuyeux. Vous ne pourrez pas venir demain ? Je ne suis pas le docteur Binet, non…
Non, Madame… Ici, c'est le Quatre Six deux Quatre Trois deux fois.
Madame… Mais comment donc ! J'avais juste fini mon travail… Mais nullement… C'est un honneur… J'espère que vous allez bien trouver le docteur Binet… Ah ? Vous êtes malade ?…
(Pour lui-même)
Elle a raccroché… Salope !
Si elle croit que ça va se passer comme ça ! Elle avait l'air gentille…



Décembre 2009, Pierrefitte sur Aire, Meuse



En fait, si la soirée de l'arrivée du public à son départ, fut dense et enjouée, pour nous cela a commencé aux premières heures de la journée où nous nous sommes mis en marche pour préparer ce temps inhabituel : acheminement des bancs, installation de l'éclairage, installation de la billetterie,
préparatifs de l'apéro... tout nous paru léger et entraînant. Et puis voir non pas seulement une pièce transformée en scène mais la maison toute entière en théâtre nous a ravi. Il régnait une agréable ambiance d'entreprise...
Après la représentation, on causait beaucoup de l'intrigue, du jeu des comédiens, de la fin dont personne n'avait la même version et du coup on a causé jusqu'à fort tard.
C'était sans équivoque un bien beau solstice d'hiver.
Benoît



Décembre 2009, Combles, Meuse



Lors de la dernière représentation nous pensions avoir trouvé une fin qui nous convienne. Et ce soir nous en avons proposé une troisième. Et quelque chose me dit que lorsque nous échangerons nos impressions demain ou dans quelques jours une quatrième possibilité va voir le jour.
Il ne s’agit pas d’errance, d’incertitude ou d’hésitation de notre part. Il s’agit de curiosité, d’exploration. Jusqu’où peut nous emmener cette fin ouverte évoquée dans un précédent article ? Qu’allons découvrir sur ces deux personnages si nous modifions leurs objectifs, leurs intentions ?
Nous sommes dans la jubilation de la recherche, de l’hypothèse. Sans changer un mot du texte de Valletti, nous réécrivons l’évolution de la relation qui unit ces deux-là.
Un jour, l’idée nous traversera peut-être l’esprit de proposer selon les représentations une fin orientée de façon différente en fonction de notre humeur.
C’est une idée…
Hugues Joudrain



En janvier 2010 les représentations ont repris











En appartement…


…et en salle pour la première fois (Maison de l'Isère à Paris).